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Septième remise du
Prix Poésie21

Remise du Prix de Poésie21 pour l'année 2022 en l'honneur de Lucienne Gracia-Vincent

Le vendredi 16 décembre 2022 en soirée a eu lieu la cérémonie de remise du Prix Poésie21 dans une salle réservée par la Fondation Saint-John Perse à la Bibliothèque La Méjanes (Aix-en-Provence).

Les deux lauréats ex aequo de cette année : Jacqueline BOUCHET – Nour CADOUR

Mention spéciale décernée à Leen YOUSSEF

Comme l’an dernier, après une brève ouverture, la parole est immédiatement confiée aux lauréats, exactement il leur est demandé de lire un choix de poèmes tirés de leur recueil.

Jacqueline BOUCHET a donné à son recueil le titre L'Arbre du vent ; son projet poétique, dit-elle pour se présenter, est « de percevoir des dissonances derrière les plates évidences, des métamorphoses parfois infimes mais pour moi source de méditation appelant les mots pour traduire et fixer la découverte », et d'ajouter «  les mots m'entraînent, je tourne autour de la sensation que leurs sonorités font exploser en moi, j'essaie de la restituer en l'enserrant dans un filet aux mailles inégales. » Deux de ses précédents recueils ont reçu deux prix (Prix Etienne de la Boétie - Bourg la Reine ; Prix Simone de Carfort - Fondation de France). Les trois poèmes suivants qu'elle a choisis de lire lors de la cérémonie ont donné au public une idée de la qualité de ses vers : obtenir par les mots de rendre une perception dont la valeur est immatérielle.

B- Sounion

La lente coulée des jours sur le marbre meurtri

s'est muée peu à peu en glacis de tendresse

le soleil a parfait la caresse du temps

sous la paume attentive

le marbre lisse et chaud, le marbre millénaire

a la tiède douceur de l'enfance

A-

L'âme du mimosa défait

défunt

te happe

comme fait le passé

brusquement resurgi

mémoire en miroir

à toi qui te retournes

surpris

 

ou comme fait la hulotte

quand son cri grelottant

dément

le sommeil aveugle de la nuit

C-

Il s'est jeté à corps perdu

dans la ramure de l'arbre mort

il s'est griffé

il s'est blessé

en traversant le lacis épineux

il a laissé sa peau

en lambeaux

blancs

 

le vent

Nour CADOUR a publié en 2022 aux éditions L'Appeau'Strophe ce recueil intitulé Larmes de lune, « chant de questionnements sur la guerre et l'exil ». En effet, d'origine syrienne, à la fois peintre, romancière, médecin nucléaire, elle sait combien une guerre civile est chose horrible et que « la poésie est alors un moyen pacifique de se battre et de changer les choses ». Et d'exposer qu' « au milieu des larmes, la poésie est… une respiration nouvelle où, chaque nuit, la lune change, symbole de beauté, de renouveau et d'espoir ».

 

Voici trois des quatre poèmes qu'elle a tenu à faire entendre :

Mémoire de ma terre

 

« Je garde mémoire des bras de ma terre

pour mesurer le ciel avec amour,

la mémoire du parfum de ma terre,

des racines de ma terre,

et mes doigts tambourinent sur les oliviers de ma terre.

……………………………………………….

Je garde mémoire des bras de ma terre

laissant toujours mes mains mal fermées,

pour que, les clefs dans la serrure,

des bouquets de rêves s'en échappent,

lorsque, dans les coussins mal formés,

ne subsiste

que la mémoire de ma terre. »

 

(Ce dernier poème a, à coup sûr, la plus grande affinité avec certains poèmes de Lucienne Gracia-Vincent)


 

Recette de renaissance 

 

« Tresser le vent

dans une brise d'été,

Pétrir la nuit

sous les doigts de la lune,

Peigner l'aurore

dans les reflets de la mer,

Étirer l'amour

sous les champs de rose,

Retrousser la lumière

dans les terres ensanglantées,

Draper les cœurs

sous l'écorce des étoiles,

Lécher les couleurs du miel

pour en faire des fleuves,

Lancer les nuages

pour faire détoner la sève,

Attraper un printemps brisé

débris de pays comme laie

pour faire exploser

la beauté de la vie »

Editions L'Appeau'Strophe, collection Ames libres

Rêve brisé

Tu dis que le vent

n'a pas d'ailes

Tu dis que la nuit

n'a pas de lumière

Tu dis que les songes

ne sont pas bleus

Tu dis que l'horizon

n'a pas de racines

Tu dis que la pluie

n'a pas de mots

Mais moi

que me reste-t-il alors

lorsque l'électricité m'abandonne

lorsque la faim gronde dans mes boyaux

lorsque la fumée envahit mes yeux

que me reste-t-il à espérer

quand les bombes jaillissent dans mes tympans

quand le tonnerre gronde dans mon âme

quand la violence écorche mes prières

Tu dis que la guerre n'a pas de solution

Mais moi je te dis

qu'il est beau de rêver. » 

Notre mention spéciale revient à Leen YOUSSEF pour son recueil Guerre, Exil et… orné de calligraphies de l'étonnant artiste syrien Yasser Al Gharbi. Arrivée en France en 2016, à l'âge de 25 ans, après cinq ans de guerre, elle quitta Alep avec sa famille et commença à apprendre le français dans la « plus grande angoisse devant une langue inconnue ». Comment ne pas être admiratif de son choix d'avoir « construit des vers avant de connaître les mots » ?

Le public, amusé de l'emploi du féminin pour des mots masculins, a été touché par la lecture de :

Mon sac pesant (écrit un 26/08/2019)

 

« Mon pays est pesant

Je le porte partout

Et il est lourd

Je le porte

Et je porte tout

Les cries fortes

Les cries silencieuses

Les corps morts

Les corps vivants

Les ruines des bâtiments

Les ruines d'âmes

Les bombes

Les jasmins

Les cauchemars

Les rêves

Les nuits,

Les jours,

Les criminels,

Les victimes

Le pays d'avant

Et le pays d'après

Je ne vois plus les bordures

Tous se mélangent

Sur mon dos

Et ils pèsent

Mon pays pèse

Et quand le kiné me demande

Pourquoi j'ai mal au dos depuis deux ans et demi

C'est mon sac à main que j'accuse. »

Recueil disponible sur Amazon

***

Couverture réalisée par l'artiste syrien Al Gharba :  http://www.europia.org/algharbi2021/bio.htm

Lecture de poèmes de Lucienne Gracia-Vincent

La règle interne à ce prix est de demander à nos lauréats de choisir dans l’œuvre de la poète Lucienne Gracia-Vincent un poème et de le lire.

Jacqueline Bouchet nous a transmis ces mots : « J'avais prévu plus de poèmes à lire de votre maman que je n'en ai lu, en me calant sur le nombre adopté par mes "consœurs". Je crois me souvenir d'avoir opté pour "Les mots choisis" (Dans l'écharpe d'Iris, p. 8) mais avais aussi aimé "Des mots" (même recueil, p. 9) , textes où je retrouvais ce goût du mot qui m'est propre aussi.

Dans les poèmes...D'Algérie, Le Souvenir m'avait séduite par le brusque retournement des tercets, démentant le sentiment nostalgique de la perte qui habitait les quatrains, mais aussi par les heureuses variations sur le thème du chemin, thème qui m'est cher tant en poésie qu'en peinture. Proche de ce poème, "De longs chemins sablés" (La Fontaine enchantée) m'avait aussi touchée par la suggestion si fine et si forte à la fois du dialogue avec la nature.

Enfin, j'avais sélectionné pour la Grèce le rondel " Au temple"(Cistes et rameaux de Grèce) mais avec plus de temps, j'aurais volontiers présenté, en ultime diptyque, "J'irai revoir Thessalonique" pour rendre compte de la diversité des tons présents dans l'œuvre de Lucienne Gracia-Vincent . »

Nous la remercions pour le soin apporté à ce parcours de l’œuvre de celle qui inspire notre prix, en est à l'origine. Les poèmes cités sont à retrouver sur le site où l'ensemble de cette œuvre a été scanné.

* (extraits) De longs chemins sablés

« De longs chemins sablés courent sous les feuillages.

Ailés, dansent les pas, frôlant les taillis verts.

Et voici retenu dans les doigts grands ouverts,

Un dessin qui s'effrite en de mouvants sillages !

 

Le silence a le goût de la figue sauvage :

Un peu de poudre blanche a couvert les fruits mûrs,

Voici tout palpitants, par dessus les hauts murs

Des secrets que le vent porte vers le rivage ! »


 

Nour Cadour a choisi dans Images d'Algérie (1980 – Ed. Maison Rhodanienne de poésie) « Les Frais matins » et « Là-bas »

« La ville, l'été, chante les frais matins !

De bleu, de blanc, de vert, richement pavoisée,

Dans un nimbe léger de lumière irisée,

Elle encadre le port de ses palais hautains.

…. »


 

« Là-bas, sous le ciel bleu, le long des chemins blancs,

Dans la douceur de l'air, dans la lumière blonde,

Au matin de la vie, à la source du monde,

Il y a tant de joie, ô souvenirs troublants !

 

Les rires et les jeux, sous les rayons criblants

D'un soleil attentif à la folâtre onde,

Ornent de clair bonheur, sur une fidèle onde,

Un superbe navire aux mâts jamais tremblants !

 

Mais qui donc a largué les amarres bénies,

A l'insu des enfants dont les mains sont unies ?

Voici que la mer happe un bouquet de sanglots !

 

La rive qui s'éloigne, exsangue, se lamente !

Et la vague amplifie, au plus profond des flots,

L'appel désespéré, né d'une lèvre aimante ! »


 

Nous remercions grandement nos lauréates de leur choix (chaque fois c'est un nouvel aspect de la poésie de Lucienne Gracia-Vincent qui se révèle) et de leur souci de faire résonner les accords et les valeurs des poèmes grâce à leur voix.

Des objectifs et du rayonnement du Prix Poésie21 (discours prononcé par Guy Vincent)

 

Nous en sommes à la septième remise du prix de Poésie21.

 

Nous avons choisi le nombre 21 pour désigner le XXIème siècle. Nous voulons inaugurer un passage vers ce nouveau siècle. Sommes-nous certains d'être au XXIème s. ? Les historiens nous ont appris que le XXème s. a commencé en 1918, que le XVIIIème s. s'ouvre à la mort de Louis XIV en 1715, etc. Un siècle est nouveau quand les centres d'intérêt d'une société s'orientent autrement, sont « aimantés » par de nouvelles considérations.

Il en est de même en poésie. Sommes-nous certains de nous éloigner de Rimbaud, de Mallarmé, d'Apollinaire, du surréalisme, de Bonnefoy et de Jaccottet ? Cela ne veut pas dire que nous les ignorons mais que nous avons à les lire autrement.

Ce prix est en l'honneur de ma mère Lucienne Gracia-Vincent qui excellait à maîtriser l'art du sonnet. Le sonnet est né en Sicile au XIIème s. et ses règles n'ont cessé de se complexifier. Les maîtriser n'est pas évident et peut être un pari. Imaginons une institution comme les compagnons du Tour de France, ou l'attribution d'un prix du meilleur ouvrier qui valoriseraient le sonnet au sein d'ateliers d'écriture répartis dans la francophonie : de jeunes poètes s'armeraient à sa maîtrise en vue d'un savoir-faire nécessaire. Apprendre son métier en somme par la voie du sonnet, entre autres possibilités.

 

Pour parler des candidats à notre Prix, il me faut citer Pline le jeune. Dans une de ses lettres (Livre I -13) il écrit : « Magnum proventum poetarum annus hic attulit », soit « Cette année a produit une abondante moisson de poètes. » Mais plus que le nombre de participants, c'est la diversité géographique qui se remarque. Nos candidats viennent des Comores, de Belgique, de Suisse, de Guadeloupe, des départements français 54, 34, 85, 31, 70, 06, 92 et bien sûr 13.

 

On trouvera ci-joint un aperçu de la qualité des recueils reçus et notre jury ne peut que remercier leurs auteurs.

Notre jury a su les départager. Il a évité de se soumettre au principe de rivalité (« Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent » disait le slogan de Mao Tsé Toung mais cela irait aussi bien à nos écoles de commerce), il a choisi de rechercher une originalité digne de cet hypothétique XXIème s.

Prenons pour exemple de cet enjeu notre affiche. Elle a été réalisée par Romain Mary de la Fondation SJP à partir d'un dessin de François de Asis. Ce peintre et ami, depuis la fondation de ce prix, a manifesté son soutien : poésie et peinture vont de pair pour lui qui a entretenu d'étroites relations avec les deux poètes les plus importants de la seconde moitié du XXème s. : Ph. Jaccottet et Y. Bonnefoy.. Cette affiche représente des oiseaux en vol sur la lagune de Venise mais elle contient une énigme que seuls de bons observateurs peuvent résoudre (un ornithologue, un peintre ou un chasseur…) : ces oiseaux s'envolent-ils ou atterrissent-ils ? Vont-ils en haut ou en bas ? Cela modifie notre regard sur la poésie : la poésie est délivrance si les oiseaux montent ; elle est incarnation si les oiseaux descendent ; elle est extase si les oiseaux sont en suspens et immobilisés. Il reste au jury d'affirmer la présence simultanée de ces trois possibilités, de voir quels poèmes rendent ces projets compossibles.

 

Revenons à la lettre de Pline le jeune. Il évoque des séances de lecture publique dans la Rome des lettrés et des intellectuels. Les gens n'écoutent plus, ils préfèrent papoter entre eux, ils arrivent en retard et pire « ante finem recedunt, alii dissimulanter et furtim, alii simpliciter et libere » (« avant la fin ils se retirent, les uns en s'esquivant et à la dérobée, les autres franchement et sans façon »). Vous, c'est différent. Mais ce trait d'humeur de Pline a tout son impact dans la pratique des rencontres à la Fondation. Que de fois Jade, la secrétaire de la Fondation et Romain, ont pu l'observer : tant d'heures de travail à préparer une exposition, une rencontre, à soutenir un projet et tant de défections, de personnes blasées, de visites superficielles ! La Fondation accomplit son œuvre. Inutile d'affronter les métros bondés de Paris. Les penseurs et artistes les plus éclairants de notre époque sont ici invités. Que Jade, Romain et la directrice de la Fondation soient ici félicités !

 

Arrivons à nos deux lauréates et notre mention spéciale qui seront plus amplement présentées. Je voudrais simplement évoquer trois vers de J. Bouchet et quatre autres de Nour Cadour et une strophe de Leen Youssef.

 

Commençons par J. Bouchet :

 

« Une mouche bleue

offre une fleur nouvelle

au romarin d'été »

 

C'est délicat, bien observé mais cela peut plonger dans les affres de la réflexion. Cette « mouche bleue », serait-ce l'image de l'Art qui s'ajoute à la Nature (le romarin d'été) ? La fonction de l'Art est-elle de s'ajouter à la Réalité ? Toutes ces œuvres dans les galeries, tous ces textes publiés, toutes ces images inventées, ces mots prononcés, ont-ils ce projet ? Si c'est le cas, cela signifie que la Réalité, la Nature, le Monde (peu importe le terme ici) sont incomplets, qu'il manque quelque chose : la mouche bleue qui se pose, c'est l’œuvre d'art qui complète le Réel. Et d'autres questions surgissent : qu'est-ce qui manque alors, pourquoi ce manque, comment se manifeste-t-il, comment compléter et par quoi, jusqu'à quand  ? Toutes ces interrogations sont lourdes alors que ces trois vers sont d'une infinie légèreté. Légèreté apparente.

Imaginez les réponses possibles, de la plus concrète à la plus éthérée. Si l'Art s'ajoute au Réel, cela équivaut à une habitude animale (marquer son territoire), à la volonté d'habiter poétiquement le monde comme le dit le poète Hölderlin, à compenser la Chute de la Nature hors de son paradis et à la sauver par une alchimie (Baudelaire : « vous m'avez donné de la boue et j'en ai fait de l'or »), à l'idée que l'Art peut extraire du monde une potentialité encore dissimulée qui l'achève…

Une autre solution, parler d'agencement : le règne animal et le règne végétal enfin réunis.

C'est ce qui rend la Poésie stupéfiante. Elle dégage des propositions vertigineuses.

 

Nour Cadour est notre seconde lauréate. Le prénom de Nour signifie Lumière. Ma mère s'appelait Lucienne qui vient Lux la lumière. Nour s'entend du fin fond de l'Iran jusqu'au bords de l'Océan atlantique. Pour qui connaît les oasis algériens , il y a ces dattes les deglet nour « les doigts de lumière ».

Les cadrans solaires inscrivent parfois cette formule, « La lumière c'est l'ombre de Dieu » (Lux umbra Dei), à moins que cela ne provienne du philosophe grec Plotin. La lumière est surtout représentée dans le recueil de Nour Cadour par celle de la lune.

 

« La lune s'est réfugiée dans ses draps de ciel

dissimulant son visage blessé

La lune s'est mise à pleurer

devant ces jours d'immense plaie »

 

Ces quelques vers sont intrigants. Ils posent un autre type de question. Avons nous le droit de transférer à la Nature nos émotions et nos interrogations, ne doit-on pas penser qu'elle est indifférente à nos existences ? Ne sommes-nous pas en train de lui prêter des sensations et des émotions qu'elle ne peut avoir ? On touche au passionnant rapport entre le sujet et l'objet, entre le monde intérieur et le monde extérieur, entre la vie et la matière. Il y a de fortes raisons à parier que la condition humaine trouve dans la temporalité du monde une oreille favorable, parce que la vie s'écoule au sein de l'écoulement de l'univers. Deux écoulements homéomorphiques.

Puisque j'ai ouvert avec un auteur latin, j'aimerais finir par ce demi-vers de Virgile qui n'a pas de traduction claire : « Sunt lacrimae rerum » (Enéide. I, 462). On peut comprendre : « le monde a des larmes [pour les affaires humaines] » (le monde s'attriste de notre sort) ou bien « les affaires humaines sont à faire pleurer » (nos existences sont pleines de douleurs).

Pensée reprise par le poète R. M. Rilke écrivant « Qui donc, si je criais, m'entendrait parmi les hiérarchies d'anges ? » (Wer, wenn ich shrie, hörte mich denn aus der Engel Ordnungen ? (Elégie de Duino I).

 

De toute façon, on peut savourer sans modération cette belle sentence de notre mention spéciale Leen Youssef tirée de don recueil Guerre, Exil…

« Comme les notes musicales,

on est seul on ne fait pas grand-chose

Mais ensemble

on fait de la musique ».

Echange d'une année à l'autre

Notre règle interne veut que le lauréat précédent a le devoir d'écrire un texte pour le lauréat suivant. Nous nous sommes donc tournés vers Isabelle Cousteil, notre lauréate 2021 qui a bien voulu écrire ces deux beaux textes en l'honneur de nos lauréates 2022.

Pour Nour Cadour

Les sens aiguisés par le danger, par la vie risquée, par une ville ou un pays meurtris. Alors que le monde gronde et se fissure, la marche de l’exil exhale une respiration puissante où les mots creusent leur trace, font pulser le disparu, le perdu, l’abandonné de force.

Comme des résurgences d’une eau vive enfouie dans le corps, un corps reliquaire  où circule la vie jusqu’au bout des doigts, les images jaillissent avec délicatesse et énergie, serties d’odeurs, de lumières, de couleurs. Le corps est sans cesse présent, il enlace le monde pour ne pas l’oublier, l’emporter avec soi.

Les mots en rang serré marchent pour une irréductible humanité. Ils disent l’indicible par des chemins de traverse qui vont droit à l’âme, la beauté creuse sa place parmi les décombres et le désarroi, la chaleur ravive les murs écroulés, le parfum des fleurs flotte au-dessus des jardins terrassés. Les brindilles d’espoir s’immiscent, le rêve emporte, la nostalgie est rédemptrice, l’attention à l’infime sauve de l’enfer et engendre la poésie salvatrice.

Nour Cadour s’inscrit dans cette lignée de poétesses mues par l’exil qui savent chanter, conter, clamer l’amour de leur terre et des leurs. Qui transforment la tristesse, la douleur, l’absence en chant pour les autres, ces autres qui porteront leur voix par-delà des frontières. Car ces mots, ce chant exhalent encore plus fort leur musique à voix haute.

Pour Jacqueline Bouchet

 L’arbre du vent sème ses feuilles, une à une, page à page. Quelques mots seulement, parfois, pour faire éclore dans la page une vision. 

Dans un rythme d’automne, doux comme un abandon passager, dans une immobilité hivernale de frimas, dans un semis printanier, dans une apogée estivale, le recueil nous emmène en voyage dans une succession vive comme celle d’un paysage entrevu à travers les fenêtres d’un train. Nous nous laissons emporter, le nez à la vitre, dans une scansion, une pulsation vitale. 

L’instantané se pose, éloquent dans sa sobriété, sa précision choisie. Il tient du haïku sans en être vraiment, chaque instant a sa respiration propre, sa liberté de ton et de sonorité. Les mots cisèlent d’une pointe fine, ajustée, ces minuscules événements trop souvent ignorés de nos vies emportées par la marée bruyante du quotidien. Arrêts sur image. Courts-métrages où le minuscule côtoie l’infini, où le réalisme effleure le mystère. Des tristesses et douleurs s’y glissent entre les lignes, leur gravité reste toujours pudique. 

La douceur et la tendresse résistent, nourries de l’attention aigüe portée à la beauté à la fois si grandiose et modeste du monde.

 

Isabelle Cousteil – décembre 2022

 

Isabelle Cousteil Ecriture, ateliers d'expression, scénarisation https://cousteil.blogspot.com

Partage et présentation

Yannick Resch, membre du jury et qui fut la première à recevoir le prix, est venue exposer le parcours artistique de nos lauréats. Avec force d'exemples tirés de leurs recueils, elle a, avec la plus grande sensibilité, fait ressortir la puissante signification de certains poèmes, leur capacité à définir une ligne originale sans ostentation ni superficialité, la résonance de leurs images. Le soin apporté à cet entretien se révélait à l'attention que les lauréates et le public apportaient à cette analyse pointant les surprises et les finesses de ces trois recueils.

Voici ce qu'elle en dit :

« Ce n’est pas la biographie qui importe dans le recueil  L’Arbre du vent  de Jacqueline Bouchet  - même si le « tu » apparaît ici ou là  mais  la façon dont la langue est  « habitée ». Cela se traduit par une écriture  à la fois dépouillée et d’une extrême densité.

Dépouillé,  le poème l’est  dans son aspect visuel : court poème (2,3,4 vers ce qui peut faire penser au haïku) au centre de la page blanche perçue comme  espace de silence mais aussi poème d’une extrême densité en faisant jaillir une image  qui crée un  effet de surprise parce qu’elle déborde le visible immédiat  ainsi ce court poème  « entre ses anses de feu/ la bûche se fait marmite où mijotent les rêves » 

« Attachée au trottoir/ la jeune femme au regard de rivière/ t’emporte dans le courant/ de son mystère ».

Le recueil Larmes de lune de Nour Cadour laisse entendre une voix qui parle à la 1ère personne et dit la réalité du pays meurtri par les bombes, les ruines mais aussi les souvenirs sensoriels et sensuels des villes. C’est un chant douloureux qui évoque la réalité tragique de la guerre et l’inquiétude de l’exil mais qui se refuse au désespoir « je garde la mémoire des bras de ma terre/ pour tricoter des pas de liberté ».

Un chant marqué par un rythme qui amplifie  le souvenir grâce à la reprise anaphorique d’un mot ou d’un vers.

Avec ces poèmes Guerre Exil et… qui évoquent les traumatismes liés à la guerre, l’exil les incertitudes mais aussi les rêves  de liberté, Leen Youssef témoigne en tant que réfugiée de la double expérience d’être ici et là-bas. La sincérité du témoignage nous a touchés ainsi que  le choix d’une expression qui s’en tient à des constructions de phrases très simples, d'énumérations à la façon de Prévert. »

Nous avons redonné la parole aux trois poètes pour qu'ils exposent leur parcours et leur conception de la poésie et dialoguent entre eux et avec le public. Moments de confidence rendus possibles par l'ambiance de confiance qui s'était installée.

Muriel Calvet, directrice de ma Fondation, a rappelé la personnalité de ce grand diplomate voyageur que fut Alexis Léger, et poète lauréat du Prix Nobel de littérature sous le pseudonyme de Saint-John Perse. Aller vers le renouvellement du Verbe, vers les rivages de la francophonie, vers l'expression de nuances sensitives, s'adonner, en ces temps, à la poésie ainsi définie, c'est, selon le mot de Saint-John Perse « pour  mieux vivre ».

Elle nous convia à un pot d'honneur au sein de la Fondation.

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