Cérémonie de la deuxième remise du
Prix Lucienne Gracia Vincent
Compte-rendu de la cérémonie
Vendredi 29 septembre 2017, a été remis, pour la deuxième fois, le Prix Lucienne Gracia-Vincent. L'assistance est composée du jury, de membres de la famille de la poète Lucienne Gracia-Vincent (enfants, petits-enfants, arrière petits-enfants), d'amis et anciennes élèves, de partenaires de la Fondation Saint-John Perse, du peintre François de Asis… Une assistance dévouée à la poésie, rassemblée pour honorer deux présents : la lauréate, Sylvie Kandé, pour son ouvrage La Quête infinie de l'autre rive (néo-épopée), et un jeune compositeur de musique Rémi Gernet ; et deux absents (M. Cahour, A. Nouvel).
La cérémonie a, d'abord, donné lieu à un double hommage ; l'un à Mme Joelle Garde, ancienne directrice de la Fondation, et décédée en ce mois ; l'autre à la poète Lucienne Gracia-Vincent dont trois poèmes ont été lus par la lauréate de l'an dernier : Mme Yannick Resch.
Ensuite, le prix a été remis à Sylvie Kandé pour la Quête infinie de l'autre rive (éditions Gallimard), venue pour cette occasion de New York où elle enseigne la littérature francophone. Par sa lecture de passages de son œuvre, le public a pu découvrir les motifs principaux de son ouvrage : une traversée légendaire de l'Atlantique par un souverain malien, rapportée depuis le XIVème siècle par l'art des griots, est devenue, par la puissance verbale de S. Kandé, une néo-épopée évoquant la puissance du rêve qui anime les hommes d'autrefois comme les exilés et migrants de notre temps.
Deux mentions spéciales ont également été accordées :
l'une à M. Cahour pour son recueil Chemins imaginaires ;
l'autre pour le compositeur de musique Rémi Gernet pour une œuvre au piano à partir d'un poème d'A. Nouvel (« Chagrin vaste ») : ce jeune compositeur, venu de Lyon, ami d'A. Nouvel (absent par suite d'une invitation à l'Université de Blomington) a exposé comment il concevait le passage d'un texte écrit à une représentation musicale. La forme musicale doit évoluer au fil du poème, usant de figurations (technique des madrigalistes), d'atmosphère (ici en la mineur), d'arrière-plans mentaux (déploiement d'une intériorisation).
La cérémonie s'est terminée par un pot de l'amitié où le public a pu s'entretenir avec les lauréats.
Poèmes de L. Gracia-Vincent lus extraits de Tunisie p 99 "Blanc" / Turquie p 76 "Le bazar" / En passant par Hammamet -Tunisie p 44 "Le coordonnier"
Comme l'a signalé Y. Resch, lauréate 2016, notre jury a pour souci de donner à ce Prix qui n'en est qu'à sa deuxième année, qui est donc tout neuf, une spécificité. Il faut patienter mais d'année en année sa nature va se préciser.
La Quête infinie de l'autre rive de Sylvie Kandé, lauréate du Prix 2017
Sylvie Kandé part d'une légende propre au monde des griots de l'Afrique occidentale : un souverain du Mali, du XIVème s., voulut savoir où l'Océan Atlantique s'achevait. Il organisa une expédition maritime. S. Kandé a transformé cette donnée légendaire en une épopée.
Le Chant I narre les préparatifs, les guerriers qui s'assemblent, le travail des artisans creusant les pirogues, la consultation des augures, l'allégresse du départ, l'étonnement de ces hommes habitués aux dunes qu'ils comparent aux vagues soulevées.
Le Chant II c'est le récit d'un survivant qui nous propose sept fins à cette aventure.
Le Chant III bascule dans notre présent, celui des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée sur des bateaux de fortune. Au rêve du souverain a succédé l'horreur de notre présent.
Sylvie Kandé travaille la langue française, la nourrissant d'expressions archaïques, créoles, proverbiales (évoquant la sagesse des nations : « qui se noie s'agrippe à l'eau »), d'un réseau d'images nouvelles.
N' écrit-elle pas (page 38) ceci ?
« Quelle que soit l'issue
Battez la vague, et cavez le vent
Ce n'est pas un ossuaire
qu'aux grands fonds vous apprêtez
C'est un monument de mots
Que glorieusement nous érigeons
afin que le récit retourne à la terre
sans jamais s'y ensevelir pour autant. »
[début -> 3:19] Discours de madame Kandé
[3:20 -> fin] Extraits de la Quête infinie de l'autre rive, chant I, p 17-19 / p. 26-28 / chant III, p 85- 87
Photographies
Ancienne élève de L. Gracia Vincent
Composition musicale pour piano de Rémi Gernet
sur le poème Chagrin Vaste d'Alain Nouvel
Rémi Gernet est un compositeur : récemment son Hommage aux victimes de Nice a été remarqué. Musique pure sans ajout d'un texte. Mais il inaugure une voie pour notre Prix : l'alliance entre la musique et un poème. La transposition d'un monde imagé en un univers sonore est source de mystère. Pourquoi ce groupe de notes et d'accords peut bien naître de ce groupe de mots ? Il ne s'agit jamais d'illustrer le poème mais d'en dire une autre cohérence, un prolongement ou une intériorisation.
Le poème choisi est tiré d'un recueil d'Alain Nouvel. Bien qu'il vive dans la Drôme et eût aimé nous rejoindre, une invitation de l'Université de Bloomington (Indiana) nous prive de sa présence. Il nous a écrit combien cette mention le touchait et exposé les principes de son esthétique qu'il aurait aimé nous dire de vive voix : « je parle pour un silence, pour un mystère qui veut se dire, qui pousse et me pousse à dire et que je m’efforce d’entendre. Il n’est rien, presque rien peut-être, peut-être va-t-il s’effacer mais j’ai l’intuition que ce presque rien est plus grand que moi ».
Voici le poème « tombé entre les mains » de R. Gernet :
Chagrin vaste/ dévaste/ le jardin /du coeur
Jardin vaste/ dévasté/ de vents/ venus/ d'ailleurs
Vents passants/, vents passés/, vents puissants
N'est resté/ qu'un peu/ d'herbe, un peu d'eau/ calcinée.